mercredi 25 février 2009

La femme qui chuchotait à l'oreille de Vincent


"Sorrow" est le titre que Vincent Van Gogh a donné à une suite de dessins de
nus. Ils représentaient Clasina Maria Hoornik (Sien) une femme qu'il a aidée et désirée avec passion et compassion. D'où la légende : "La femme qui chuchotait à l'oreille de Vincent". Parfois écouter est une blessure.

L'Angélus de Millet.





"Un homme et une femme récitent l'angélus, prière qui rappelle la salutation de l'ange à Marie lors de l'Annonciation. Ils ont interrompu leur récolte de pommes de terre et tous les outils, la fourche, le panier, les sacs et la brouette, sont représentés. En 1865, Millet raconte : "L'Angélus est un tableau que j'ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l'angélus pour ces pauvres morts bien pieusement et le chapeau à la main. »
J'ai une certaine admiration pour ceux , comme les artisans qui répètent et perfectionnent inlassablement les mêmes gestes avec beaucoup d'humilité. Je n'ai jamais réussi à être aussi sage et aussi patient. Trop de choses m'ont attirées tout en essayant de trouver des liens entre toutes ces diversités. J’admire le luthier qui habite mon immeuble.
Je joins trois images : celle du tableau de Millet et deux photographies où je me mettais en scène dans ma grange à la campagne. Je m'étais rasé la tête. En fin d'après-midi, la lumière était presque irréelle. Elle était reflétée par le plancher de terre, de bois et de paille.
Courber l’échine m’a servi chaque fois que j’avais besoin de reprendre des forces pour me révolter ou pour m’en aller.

lundi 23 février 2009

Valérie se rhabille

Hôtel du Nord


Rouen
21h00. Je me dirige vers la rue du Donjon à Rouen. J’ai rendez-vous avec la vieille femme qui se prostitue et fait la manche. Assise sur un morceau de carton devant l’entrée du Crédit du Nord, elle se tient recroquevillée entourée de canettes de bière. Elle s’appelle Valérie. Elle me dit que je suis à l’heure mais qu’elle doit aller sur le parking de la gare pour recevoir un peu de nourriture distribuée par une équipe de maraude. Valérie marche très lentement. Elle n’a plus de souffle et ses jambes très amaigries lui font mal. Quelques hommes la saluent et lui disent : on se connaît ! Elle se défend de vouloir familiariser et les rembarre. Elle me demande de dire que j’ai aussi besoin de nourriture. Une femme s’approche de moi, elle se présente, elle est psychologue : êtes-vous malade, de quoi avez-vous besoin ? Un homme avec une liste sur une tablette de bois me demande mon prénom. Un autre, très jeune est présenté comme le médecin du groupe. Une personne à l’intérieur du camion distribue du café et de la soupe. Valérie est très à l’aise comme si tout lui était dû. Elle va voir le médecin et lui dit : j’ai besoin de médicaments pour dormir et aussi de la pommade pour mon genou qui me fait mal. Je finis par expliquer à la psychologue que je suis inquiet pour Valérie et qu’elle se prostitue chaque soir dans le froid. Elle me répond qu’elle n’était pas au courant. Une fois ses provisions faites, on repart avec Valérie pour aller chez moi la photographier. Elle marche très lentement. Elle est obligée de s’arrêter tous les 20 mètres pour reprendre son souffle. On passe devant un tabac sur le point de fermer. Le patron lui rouvre la porte et lui vend un paquet de cigarettes. Quand on repasse devant le Crédit du Nord, elle me demande de mettre son sac de provisions dans la poubelle en fonte de l’autre côté de la rue. Elle le récupérera plus tard. Notre route (quelques dizaines de mètres) pour aller chez moi continue. Elle s’arrête souvent. Elle me dit qu’elle n’a plus de souffle car elle a besoin de fumer. Une cigarette, puis deux. On arrive enfin chez moi vers 22h00.
Ce dont je ne m’étais pas vraiment aperçu pendant le trajet s’impose maintenant. Elle a dû uriner sur elle sans se changer depuis plusieurs heures. Une odeur d’urine très forte envahit la pièce. Elle tient encore à fumer. Elle est mal à l’aise, effrayée par les lampes flash. Il y a toujours en elle un part de détresse mais aussi de rouerie. Elle est dans la logique de la rallonge. Toujours demander au client un supplément quel que soit la mise de départ. Elle me demande 10 euros de plus. Je lui donne donc 60 euros. Elle me dit qu’elle est stressée et veut arrêter de poser. Elle revient s’asseoir, enfile son pull gris, grille une nouvelle cigarette et me raconte quelques bribes de sa vie. Elle a payé une moto à son fils pour ses dix-huit ans. Il a eu un accident et vit maintenant en chaise roulante avec son père dont elle est séparée. Elle travaille pour lui fournir de l’argent. Elle a été autrefois serveuse dans un bar puis s’est retrouvée sur le trottoir par amour. Elle ne travaille plus à l’hôtel depuis qu’il y a Sarko. Elle se détend enfin. Elle dit : la prochaine fois, tu m’invites à manger. Une bonne entrecôte avec des pommes de terre sautées que tu fais d’abord cuire à l’eau. et puis tu me fais un massage. Je te prendrai rien. Tu fais pas l’amour toi ? Non. Elle remet son manteau rouge. Tiens je ferais bien une photo avec votre manteau. Elle répond : ça va faire 10 euros de plus. Je lui dis que je n’ajouterai rien. Elle supplie, elle me dit qu’elle en a vraiment besoin. Je lui demande de ne pas insister. Alors elle réplique : c’est niet de niet avec une certaine satisfaction de me voir résister.
Je lui propose de la raccompagner jusqu’au 9 de la rue du Donjon. En bas de chez moi, elle rentre dans l’épicerie et achète sa bière favorite, une 8.6 Bavaria, de 50 cl. De retour chez moi, je me sens très énervé. Je n’arrive pas à dormir profondément et me réveille à plusieurs reprises dans la nuit. Le lendemain matin je n’arrive pas non plus à me reposer dans le train qui me conduit à Paris où je vais travailler à Shanghaï Beauté.

De la pension de famille au fourgon

Ma mère aimait les glaïeuls


La fenêtre de ma chambre, ancienne loge de concierge donnait sur un local à ciel ouvert. L’été, la chaleur faisait remonter l’odeur des poubelles dont ma mère avait la charge. Le sommeil tardait à venir. Je repoussais avec les talons le drap qui me tenait trop chaud. Ma mère veillait à me recouvrir quand la nuit devenait plus fraiche. A mon adolescence, c’est dans ce lieu, sur un lit étroit que fut déposé le corps de mon père. Un drap le recouvrait totalement. J’aurais aimé qu’il eut la force de le repousser comme on chasse un mauvais destin.

C’est en regardant des photos de famille disparates que j’ai retrouvé une suite d’images qui représentent le moment où le cercueil de mon père fut chargé dans le fourgon mortuaire. J‘avais alors treize ans. La première photographie montre le cercueil posé sur les chaises du petit restaurant tenu par ma mère Haninah. C’est dans ce lieu que la famille et les proches vinrent déposer des fleurs. La salle tout en longueur était séparée en deux par un paravent : la partie pension de famille avec une desserte, trois ou quatre tables et la partie aménagée en chambre pour mon père Nissim. Ma mère lui injectait régulièrement de la morphine pour calmer ses douleurs. Sur la photographie où l’on voit la façade de l’immeuble on peut lire certaines enseignes dont le sens me semble aujourd’hui prémonitoire. Au deuxième étage, sur le balcon du petit restaurant de ma mère, on aperçoit le terme hébreu kasher permettant aux juifs ashkenazes et sépharades de trouver une nourriture conforme au préceptes religieux. Au premier étage, on peut lire l’inscription : Institut de beauté. Depuis juin 2008, je travaille dans un institut à Paris, le Shanghai Beauté. Au rez-de-chaussée, à gauche de l’entrée les termes Beaux-Arts font partie de l’enseigne Café des Beaux-Arts. J’ai enseigné aux Beaux-arts de Paris pendant plus de vingt ans. Les grandes lignes de mon histoire auraient ainsi été fixées le jour des obsèques de mon père. Le deuil est un palimpseste sur lequel une nouvelle page s’écrit sans que l’on puisse se douter que les lignes tracées obéissent à des sillons discrets qui dictent leur volonté.