lundi 23 février 2009

Ma mère aimait les glaïeuls


La fenêtre de ma chambre, ancienne loge de concierge donnait sur un local à ciel ouvert. L’été, la chaleur faisait remonter l’odeur des poubelles dont ma mère avait la charge. Le sommeil tardait à venir. Je repoussais avec les talons le drap qui me tenait trop chaud. Ma mère veillait à me recouvrir quand la nuit devenait plus fraiche. A mon adolescence, c’est dans ce lieu, sur un lit étroit que fut déposé le corps de mon père. Un drap le recouvrait totalement. J’aurais aimé qu’il eut la force de le repousser comme on chasse un mauvais destin.

C’est en regardant des photos de famille disparates que j’ai retrouvé une suite d’images qui représentent le moment où le cercueil de mon père fut chargé dans le fourgon mortuaire. J‘avais alors treize ans. La première photographie montre le cercueil posé sur les chaises du petit restaurant tenu par ma mère Haninah. C’est dans ce lieu que la famille et les proches vinrent déposer des fleurs. La salle tout en longueur était séparée en deux par un paravent : la partie pension de famille avec une desserte, trois ou quatre tables et la partie aménagée en chambre pour mon père Nissim. Ma mère lui injectait régulièrement de la morphine pour calmer ses douleurs. Sur la photographie où l’on voit la façade de l’immeuble on peut lire certaines enseignes dont le sens me semble aujourd’hui prémonitoire. Au deuxième étage, sur le balcon du petit restaurant de ma mère, on aperçoit le terme hébreu kasher permettant aux juifs ashkenazes et sépharades de trouver une nourriture conforme au préceptes religieux. Au premier étage, on peut lire l’inscription : Institut de beauté. Depuis juin 2008, je travaille dans un institut à Paris, le Shanghai Beauté. Au rez-de-chaussée, à gauche de l’entrée les termes Beaux-Arts font partie de l’enseigne Café des Beaux-Arts. J’ai enseigné aux Beaux-arts de Paris pendant plus de vingt ans. Les grandes lignes de mon histoire auraient ainsi été fixées le jour des obsèques de mon père. Le deuil est un palimpseste sur lequel une nouvelle page s’écrit sans que l’on puisse se douter que les lignes tracées obéissent à des sillons discrets qui dictent leur volonté.

1 commentaire:

  1. Signes, synchronicités, hasards objectifs, quel que soit le nom, la mémoire conjuguée au coeur-esprit fait son travail, puisque l'humain a besoin de donner un sens.
    Laurent

    RépondreSupprimer