mardi 21 septembre 2010

Automne


L'homme est un alchimiste raté
Il change l'or de l'enfance en plomb
Et le plomb des fusils en boue des cimetières.

jeudi 29 octobre 2009

Mais qu'a mon oeil ?

Après plusieurs jours de douleur intense autour de l’œil gauche, ma vision s’est dédoublée.
Une semaine plus tard au sortir d’une pharmacie à Villejuif, un amas d’objets attire mon attention. Je sors de mon sac une petit appareil photo. La première image montre ce que mon objectif a capté : des sacs en plastique éventrés. La seconde reconstitue ma réalité visible : floue, mouvante, affolante.

Plusieurs albums éparpillés sont protégés par des couvertures épaisses de cuir rouge ou bleu. Les premières photographies ont un siècle. A l’intérieur. La même personne y est souvent représentée. D’abord petite enfant, puis en communiante. A l’âge adulte, elle pose dans les décors naturels et somptueux de différentes villes thermales : Gap, Monte-Carlo, Aix-les-Bains, Evian.



Moi qui voyais si mal ce jour-là, j’eus l’impression de ramasser une vie, d’éviter que ces images encore immaculées ne se retrouvent foulées, détrempées par l’urine et la pluie, dissoutes dans le pire des oublis : la destruction. Je pouvais au moins me consoler de cette coïncidence : les images ne me laisseraient pas me détourner d’elles. Ces feuilles mortes trouvèrent leur place dans le grand sac de plastique transparent contenant les images de mon cerveau scanné le matin même. C’était à l’Hôpital des Peupliers.

Ce qui m’arrive n’est pas tragique aux yeux des autres. Je n’ai ni faim, ni froid. Je ne suis pas à la rue. Ce mal s’attaque à ma pulsion première : le désir de voir. De quoi pourrais-je me plaindre ? D’y voir double alors que d’autres voient simple. J’ai juste honte parfois de tituber moi qui n’ai jamais bu. De porter des lunettes noires, moi qui n’ai jamais voulu détourner mon regard de sa responsabilité coupable.
Ma vision est à l’image du monde : deux images identiques, l’une virtuelle et l’autre réelle. Ce qui les distingue c’est leur matière, leur densité. Je traverse l’une et me cogne à l’autre. C’est une atteinte à mon envie de vivre qui s’étiole un peu plus.
La mer se retire sous mes pieds en creusant le sable et me déséquilibre. Les deux images qui partent de moi, bien superposées pour n’en former qu’une, divergent maintenant à l’infini. A moins que les images qui me viennent de l’infini convergent en moi en un point que je ne vois pas. Le point aveugle de ce qui m’attend.



dimanche 27 septembre 2009

Après Giverny

Après Giverny, back to Bach
Reflets du train
Trois suites à toute allure
Sans frein, jusqu'à la fin.

vendredi 25 septembre 2009

25 septembre 2009



Sophie est née le 25 septembre de l'année 1955. Quelqu'un se souvient-il de la couleur du ciel ce jour là ? "Je crois qu'il était sombre comme nos coeurs" a dit sa mère. Sophie avait retenu de la maison de Monet les couleurs ton sur ton des murs et des lambris. Elle en reprit l’idée pour son appartement : un jaune paille sur une couleur bouton d'or.

La maison du peintre surplombe le jardin d’eau. Je ne connais pas les noms de toutes ces fleurs qui s'offrent naïvement tous pétales ouverts, l'oeil clos. Elles ignorent superbement ce début d’automne et n’attendent pas que le soleil transperce les nuages pour que leur couleur éclate. Elles ont l’arrogance du colza qui brille même sous un ciel gris.





Non loin de là, au musée des impressionnistes se tient une exposition de peintures de Joan Mitchell. Elle vécut dans l’ancienne maison de Monet à Vétheuil. Elle a la lucidité de ne pas vouloir rivaliser avec la nature qui l’environne. D’ailleurs elle écrit :
« Je peins des paysages remémorés que j’emporte avec moi, ainsi que les souvenirs des sentiments qu’ils m’ont inspirés, qui sont bien sûr transformés. Je préférerais laisser la nature où elle est. Elle est assez belle comme ça. Je ne veux pas l’améliorer. Je ne veux certainement pas la refléter. Je préférerais peindre les traces qu’elle laisse en moi ».


La grande vallée par Joan Mitchell

mercredi 16 septembre 2009

J'aurais aimé m'appeler Frida # 1


Lucile ma fille voulait être photographiée en Frida. Il lui fallait joindre ses deux sourcils avec un crayon à maquillage. Recréer cet oiseau noir qui déploie son envergure et enserre le troisième œil au-dessus du regard de Kahlo.

J'aurais aimé m'appeler Frida # 2

"Et c'est bien pire que le désir interminablement non satisfait
Que cette soif de l'oeil quand tu marches dans la pièce". Louis Aragon




Frida niait toute faille, toute déchirure de son corps, décoré et paré en toute circonstance publique ayant le folklore et la politique pour armure. Et pourtant les broderies ne sont pas autre chose qu’un tissu transpercé par deux fois pour que le fil y laisse son dessein.

Comment Diego Rivera, Léon Trotski et certaines femmes aussi se préparaient-ils à soutenir le corps de Frida, privé de son corset, marqué par la barre de fer qui lui traversa le bassin ?
A qui ont-ils fait face quand les secrets de Frida rendaient son regard intouchable tant il était chargé de ses rêves peints ?

J'aurais aimé m'appeler Frida # 3

Sans doute sentaient-ils confusément que son corps brisé, éventré, reflétait la vérité de chacun d’entre nous : le moi est une foire-à-tout. Un amalgame hétérogène de sensations et d’objets passés déposés au présent. Une fouille à ciel ouvert sous les mains d'archéologues peu regardants. Le sujet pour croire à son unité, « machine les fantasmes qui se succèdent d’une image morcelée du corps à une forme que nous appellerons orthopédique de sa totalité – et à l’armure enfin assumée d’une identité aliénante, qui va marquer de sa structure rigide tout son développement mental. » Ainsi parlait Lacan.




1 - Hans Bellmer

2 - The Pornographers de Shoei Imamura
3 - La poupée commandée par Kokoshka


Certains artistes, comme Kokoshka, Bellmer ou le cinéaste japonais Shoei Imamura ont décidé de construire et de vivre avec un idéal féminin en recréant de toute pièce celle qui serait leur compagne docile, leur muse. Ils inventèrent une nouvelle "anatomie de l'amour". A l’inverse de Pygmalion, ils sont partis du vivant pour créer une compagne viable quitte à la priver de l’air qu’elle respire, quitte à se perdre en chemin sur les transformations incessantes de l’objet de leur attention.




Taille mannequin.

Qui t'a fait ça
Qui t'a mise nue
Qui t'a tranché la taille
Qui a bouché et épilé ton sexe
Je tuerai celui qui a rasé ton crâne
Est-ce ta faute si on t'a obligée de coucher

Tes mains sont toujours prêtes à me prendre
Avec un peu de crispation pourtant

Une difficulté réelle à se refermer sur quoi que ce soit
Sur qui que ce soit

Mais moi

C'est décidé je vais t'emmener
à dos d'homme
Je te trouverai des vêtements
Jamais assez beaux mais tu auras moins froid
Le soir venu tu te coucheras près de moi et mon oeil
pleurera devant ta porte interdite

Ma chaleur deviendra tienne et nous nous endormirons
Nous regarderons sur les murs
L'ombre des rideaux dessinée par la lumière des lampadaires

Le matin à mon réveil tu auras déjà ton regard sur moi
Veilleuse de ma nuit, immobile et silencieuse
Les yeux grand ouverts.