lundi 27 avril 2009

Les chaussures de Pollock

Une feuille de papier blanc est tendue au mur.
Je referme la main d’un enfant autiste sur un pinceau chargé de couleurs. Par le plus grand des hasards sa première trace effleure la feuille et continue sa course au-delà de ses bords. Les autres murs de la pièce, les carreaux de la fenêtre sont touchés, tachés à leur tour, témoins de la valse étourdie de l’enfant. J’intercepte le pinceau au moment où il atteint mes chaussures. Pensée pour Pollock. Je n’avais pas prévu une telle rapidité d’exécution. Pour cet être, aucun geste, aucune spirale ne sont assez amples pour atteindre le monde. Du côté de la norme, nous n’ignorons pas le support qui fait écran. Les quatre lignes dures du cadre précèdent et infléchissent chacune de nos traces. Nos traits quand ils sont filmés et projetés au ralenti trahissent des hésitations entre un chemin plutôt qu’un autre. Débat involontaire et scrupuleux. Nous produisons quelques méridiens squelettiques face à l’arrogance de ce que nous avons dans les yeux. Mais nous voulons croire qu’un cercle tracé deviendra le piège qui rendra la forme prisonnière de notre maîtrise. Nous cherchons à nous convaincre que l’œil du spectateur sera subjugué une fois de plus et que les fruits rouges du fusain renaîtront de leurs cendres.
Admettons que le dessin soit l’art des renoncements successifs. La gomme s’use à nous le rappeler. La maîtrise ne se trouve pas dans la conduite du trait, mais dans l’acceptation d’un retrait. Nous ne pouvons pas prétendre à la geste indifférenciée de l’enfant autiste qui veut toucher et confondre toute la réalité du monde. Nous savons qu’en bordure de chaque forme, le vide n’est pas là pour nous combler.

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